La brise, un secret, et un deuxième dragon [Privé Drukaloromnar]

Le vent… j’ai toujours aimé le vent. Quand il souffle, en petite brise. Froide, j’aime bien. Elle me caresse la fourrure, et me donne de légers frissons. Parfois, quand il fait assez chaud, comme cette journée-là, elle me rafraîchit. C’est mon amie, la brise. Le soir, je l’écoute, elle me murmure à l’oreille. Ce matin-là aussi elle murmurait. Elle me souhaitait le bon matin et m’accompagnait dans ma gestuelle. Car je bougeais mon corps, je suivais le courant du vent, je laissais la brise me guider, je dansais avec elle, je la caressais. Une bonne amie, douce et agréable.

Grâce à elle, je n’avais pas besoin d’ouvrir les yeux pour savoir ce qu’il y avait autour de moi. Perché, sur un rocher plat, je m’immergeais et dansais avec elle, et elle me racontait. Les arbres, autour de moi, qui suivais le mouvement de mes mains, comme si je les guidais. Les arbres qui murmuraient, qui bruissaient, qui chantaient pour moi. Il y avait aussi les oiseaux, qui les accompagnaient, qui tournoyait près de moi, me frôlaient de leurs ailes, comme si j’étais un élément du décor. L’eau, qui coulait autour de cette petite île en fredonnant une mélodie pour accompagner les arbres et les oiseaux. La brise me racontait tout cela, elle me montrait. Elle m’apportait les odeurs, de la terre fraîche, des fleurs, qui chantaient à leur façon.

Je regardais mon monde, et pourtant je ne voyais rien. Car il n’y avait rien. Moi, la brise, c’était tout. Une parfaite intimité, une parfaite harmonie. La nature ne fonctionnerait pas sans le vent, non. Car sans le vent, lorsque je fermais les yeux, elle ne serait plus. La brise était essentielle, et cette joie de la caresser et de l’appeler « mon amie » surpassait toutes les autres joies. D’ailleurs, un peu mélancolique, ou jaloux peut-être, j’eus envie de la joindre.

Lentement, mes ailes émergèrent. Suivant elles aussi le mouvement du vent. J’étais seul, après-tout. Je laissai la brise caresser mes plumes. Ou peut-être était-ce mes plumes qui caressaient la brise? Oui, peut-être. Mais cette fois je ne pris pas mon envol. Non, je voulais juste avoir un contact intime avec cette amie de moi-seul. Et je n’avais rien de plus intime que mes ailes. Seul deux êtres en ce moment connaissaient leur existence… Sharen, mon frère, et mon maître dont le nom ne traversait plus mon esprit. Lui et moi étions lié, mais pas par cela. Son énergie coulait en moi. Son énergie accompagnait la brise. Il me soufflait ses conseils encore à l’oreille. Mon cœur était à lui, comme il était à mon frère, que j’avais moi-même guidé sur la voix.

Dans les airs, mes ailes tracèrent un poème. Une poésie marchombre…

*Perception des forces de la nature
Solitude d’un cœur jamais seul
Harmonie de l’esprit*

*Le secret d’un Marchombre se doit d’être protégé à tous moment. Si la nature est son allié, il doit aussi savoir s’en méfier.* Une phrase qui me percuta l’esprit comme si mon maître s’était trouvé à côté de moi pour me la chuchoter. Un message qui était on ne peut plus clair : je n’étais plus seul. Doucement, sans briser l’harmonie, je laissai mes ailes se rétracter, disparaître. Puis, seulement, j’ouvris les yeux et respirai plus normalement. Trop immergé dans ma méditation, je n’avais pas remarqué la présence qui se trouvait tout près. Tout près, mais camouflée par la nature. Cette même nature qui, par chance, m’avait aussi camouflé. Je tendis l’oreille. Une respiration, un battement cœur, plus rien. Plus rien? Intrigué, je continuai d’épier. Rien… Absolument rien. Comme s’il avait, tout simplement, disparu. *Les choses peuvent changer, mais jamais elles ne se détruisent. Elles gardent toujours un point commun, il suffit de trouver lequel.* Bien entendu… L’être n’avait peut-être que changé d’apparence physique, et mes sens ne pouvaient le percevoir, désormais. Étrange… Et intriguant. Je me dirigeai discrètement vers l’endroit d’où cette présence m’était parvenue. Mais avant que je n’ai pu constater quoi que ce soit, elle était de retour.

Pas pour longtemps. Un immense dragon emplit mon champ de vision. Impossible de le manquer! Et pas étonnant qu’il ait trompé mes sens… un dragon! Je n’en avais croisé qu’un seul dans ma vie! Et contrairement à celui que je voyais présentement, il, ou enfin plutôt elle, puisque j’avais croisé une dragonne, n’était pas en colère! Mais pourquoi cette colère? Ah, l’œuf! Son œuf? Il l’aurait laissé sans surveillance? Pourquoi cela? Oui bon, j’avais baissé ma garde moi aussi. Cet endroit était peut-être un peu trop, euhm… harmonieux… C’était toutefois un peu rassurant de se dire qu’un dragon aussi avait commis la même erreur que moi. *Tu es Marchombre, que ce soit un dragon ou non, tu n’es pas censé faire cette erreur.* Je me rattraperais. Pour l’instant j’étais curieux. Je le laissai donc reprendre son aspect plus humain avant de l’approcher.

Plus humain était le terme juste. Il conservait de nombreux traits draconiques. Un choix? Il me semblait que la dragonne avait tout à fait l’air d’une humaine. Je l’avait cerné grâce à l’énergie qu’elle dégageait. Une énergie puissante, majestueuse… la même énergie que ce dragon-ci déployait autour de lui, à une différence près. Celle de mon objet de curiosité présent était plus sauvage. Et pas seule. Une deuxième énergie s’y fondait, si liée que je ne l’avais même pas aperçue, avant d’être à quelques mètres et de m’immobiliser. L’œuf…

« Je vous demande pardon pour le dérangement, mais je méditais tranquillement dans les environs quand la vision d’un dragon enragé m’a un peu… dérangé. Je tenais à m’assurer que tout allais bien et qu’aucun mal grave n’avait été commis. »

Une vague de soulagement traversa mon esprit. Bien, un peu de peur, et pour un simple brigand, aucun mal : une situation, en finale, qui serait sans doute amusante, sans plus. Je me pris à imaginer la tête que feraient les amis de ce brigand lorsqu’il leur raconterait sa mésaventure, et un sourire amusé éclaira mes lèvres, comme en réponse à celui émit par mon interlocuteur. Il me fut toutefois de courte durée, et c’est d’une légère lueur d’inquiétude que mes yeux se tintèrent lorsque je rivai mon regard de nouveau sur le dragon. Il était calme et ne semblait pas mal intentionné. Le genre ermite. D’un côté, il me faisait penser à moi. Peut-être était-ce cela qui m’inquiétait? Je ne vois pas pourquoi je devrais mettre en garde un dragon, qui devait avoir une intelligence bien plus développée que la mienne, et pourtant, au risque de faire un fou de moi, je ne pus m’empêcher de lui faire remarquer :

« Loin de moi l’idée de remettre en question votre choix de laisser ce brigand en vie, au contraire je l’approuve, cependant… N’est-il pas risquer que de laisser cet être infâme raconter à tous ceux qu’il croisera qu’il a vu un dragon et son œuf dans les parages? Les hommes ont malheureusement tendance à la stupidité, et la convoitise les y pousse plus souvent que ne les retient la sagesse. Sans vouloir remettre en question votre puissance et votre intelligence, il me semble que vous avez tout de même vos limites, et que les hommes ne manquent ni de patience, ni d’effectif… Ne serait-il pas plus avisé de s’assurer qu’il ne parle pas? »

Bien que je me sois exprimé avec toute la courtoisie dont je savais faire montre (ce qui me semblait bien peu, tout d’un coup), un petit éclat de frayeur se glissa dans ma voix alors que je poursuivais. Étais-je en train de provoquer une force qui, en quelques secondes, pouvaient me réduire à un petit tas de poussière dont même le vent ne se soucierait d’éparpiller?

« Je sais bien que la plupart des gens le croiront fou, lui diront qu’il a trop bu, ne s’en soucieront guère plus, mais… Il suffit que la mauvaise personne entende l’information, et tout d’un coup la situation change du tout pour tout, une battue est organisée, et avec de la malchance, votre paix est troublée… »

Quelques secondes de répit augmentèrent un peu mon malaise avant que je ne me rétracte et ajoute d’une voix intimidée :

« Je vous demande pardon de mon inquiétude infondée… Je suis certain que vous avez déjà réfléchit à cette question, et que vous n’avez pas du tout besoin de mon aide… »

Je retint un soupire. Mon interlocuteur n’avait visiblement pas compris ce que j’avais proposé. Dans ma volonté de ne pas le vexé, je n’avais pas été assez clair et direct, et il avait mal interprété. Et ça, il ne fallait pas que je le laisse paraître, car il pourrait le prendre comme une insulte à son intelligence. Quoi qu’il ne me semblait pas de ce genre à être sur les nerfs sans raison. Il me semblait relativement calme. Peut-être alors pourrais-je me permettre une précision.

« Je vous demande pardon, mais il n’a jamais été question de tuer. Cette idée même me répugne, et je n’oserais y tenter. Ce qui était à demi vrai, en réalité. Si j’avais identifié cette homme comme réellement dangereux, je l’aurais tué pour protéger l’œuf. Mais cet homme n’était qu’un briguant de bas étage, rien d’effrayant. La frousse de sa vie, qu’il avait eu, c’était suffisant. Je proposais simplement de le convaincre de n’en rien dire, mais je suppose que la terreur que vous lui avez inspiré sera suffisante, en effet. Il m’arrive parfois de pousser un peu trop mes réflexions, et d’oublier que les choses peuvent être simples. »

Le reste me laissait… hautement gêné. Sagesse, moi? Non… bien sûr que non. Intelligent, peut-être, mais je n’avais pas assez d’expérience de vie pour qu’on puisse me qualifier de sage. Un dragon de quelques centaines d’années peut se dire avoir assez vu de chose pour connaître le monde. Moi je ne connaissais que le Voie de Marchombres.

« Je ne suis qu’un voyageur qui essaie de voir les beautés du monde, et je ne considère pas que sagesse soit le mot approprié pour nommer ce qui guide mes paroles. Je suis analyste et j’ai tendance à regarder les choses sous plusieurs angles, mais cela relève de l’intelligence. »